Les Chroniques d'Eric

La Chine nue

Meyer Eric Season 2022 Episode 28

L'Empire sous le Ciel, l'Empire du Milieu, la Chine telle qu'on veut l'appeler, a insensiblement changé en un an. Pékin qui s'apprête à accueillir des Jeux Olympiques d'Hiver encore plus vissés et encore moins libres que ceux d'Eté qu'il hébergeait en 2008, devient rigide. Elle perd de ses couleurs, celles de son petit peuple confiné à la maison et sur écoute par la grande oreille du Crédit social. 
Pour détecter les différences, j'ai chaussé les lunettes d'une émission d'Arte sur l'Union Soviétique, et celles  de Thomas Piketty, l'économiste socialiste.  Piketty, auteur marxiste, avait l'honneur d'un de ses livres exposé en gros plan sur le bureau du Président Chinois Xi Jinping le jour de ses vœux de nouvel an. Mais qu'on en déduise pas que ce penseur et chercheur soit devenu l'égérie du socialisme chinois - comme on va entendre, dans son dernier livre traitant de "histoire de l'égalité", les fleurs  écarlates de la Chine rouge, sont moins des roses que des chardons ! 

Tous ces épisodes, inspirés par mes souvenirs et l'actualité, n'ont que le double but de vous amuser et de matérialiser la Chine, la rendre vivante et présente à vos oreilles. Si vous aimez ce que vous entendez, merci de reposter le lien sur Facebook, LinkedIn, Twitter, TikTok etc. J'en ai besoin, car le nombre d'auditeurs reste trop bas. Vous pouvez aussi me répondre pour commenter -sur LinkedIn, en titrant mon nom.
Merci - Eric MEYER

Episode 28 : La Chine nue

A vous ou à toi, amie auditrice et auditeur, d’abord, la meilleure des années, celle qui peut-être va voir la fin du COVID par immunisation naturelle. A tous, je souhaite que nos gouvernements prennent conscience du tournant qui s’impose à la terre en matière de santé, qu’ils investissent davantage dans nos institutions supranationales telle l’union européenne ou l’OMS, et fassent ce qu’il faut pour réduire des menaces de type COVID à l’avenir, sur leurs sols nationaux et dans le tiers monde. 

Je regardais l’autre soir sur Arte « les bourreaux de Staline », un film documentaire sur l’URSS jusqu’à l’effondrement du colosse aux pieds d’argile à l’hiver 1989. L’émission faisait le point sur la période la plus sombre de l’ère soviétique, quand Hitler et Staline s’étaient secrètement entendus  pour se partager la Pologne à la veille de la seconde guerre mondiale. En 1937 ce pays enclavé entre l’Allemagne nazie et la Russie stalinienne avait été traitreusement envahi par les deux armées par l’ouest  et par l’est, ne laissant aucune chance à la défense locale. Par centaines de milliers, les soldats polonais avaient été désarmés et incarcérés avant d’être renvoyés chez eux quelques mois plus tard. Les 22.000 officiers avaient eu moins de chance, se retrouvant déportés en train jusqu’à l’Ukraine soviétique où ils avaient été enfermés dans des monastères orthodoxes reconvertis en prisons. Se posait alors la question de savoir ce qu’on allait en faire. 

Trois ans plus tard, avec l’approbation de Staline, suite à de sombres manigances de pouvoir au sommet du régime soviétique, la quasi-totalité de cette élite polonaise avait été exécutée d’une balle dans la tête dans la forêt de Katyn. Les exécuteurs avaient été les hommes de la Tcheka, la police secrète ancêtre du KGB. L’objectif était d’éradiquer le cerveau de la défense militaire polonaise, pendant que le Reich et l’URSS démembraient son territoire après en avoir éliminé toute résistance. 

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Une première chose qui me frappe dans ce film, est la similitude de méthodes et de comportements entre cette organisation de génocide de la Russie des années ’40, et celle qui va se déployer en Chine 80 ans plus tard sous Xi Jinping. Les slogans, les objectifs, le rapport au pouvoir central appellent la comparaison. Cela semble absurde et ne devrait pas être. Après tout, Chine et Russie séparés de 5 à 6000km de distance, ne partagent pas grand-chose dans leur culture, leur histoire et leur mode de vie. Les époques des deux situations génocidaires sont séparées par  4 générations, durant lesquelles ont eu lieu des progrès techniques bouleversants dans l’histoire humaine, avec notamment l’avènement de l’internet : autant de changements qui auraient dû empêcher le renouvellement des horreurs soviétiques. 

Mais les faits sont têtus. L’incarcération des centaines de milliers de soldats polonais sous Staline, répond à celle du million et demi de Ouighours sous Xi Jinping. Dans les deux cas, des méthodes de répression nouvelles ont été mises au point au moyen des technologies de pointe, souvent importées, et les deux projets semblent être des laboratoires de gouvernance nouvelle fondée sur la violence et l’exclusion. Dans les deux cas, en Russie comme en Chine, les dictateurs ont donné des ordres généraux de venir à bout de populations constituant pour eux un risque, et ce sont des hauts cadres du Parti qui a distance, sur place, ont imaginé et réalisé ces programmes pour répondre à leurs attentes. Beria , patron de la Tcheka, extermine les polonais dans les bois de Katyn en Ukraine, et Chen Quanguo secrétaire du parti au Xinjiang, fait construire les prisons géantes, baptisées centre de formation, pour y stocker le dixième de la population minoritaire Ouighoure. 

Beria apparaît comme un être d’une férocité sans borne, à la tête d’un corps de police secrète avec des armes importées d’Allemagne. Au Xinjiang de même, Chen Quanguo dispose d’un outillage illimité et moderne, et ce que la Chine ne peut lui fournir, l’Occident rivalise d’ardeur pour le lui vendre, cameras à reconnaissance faciale, systèmes de stockage des données ou même instruments de torture. Beria, le féroce tueur de Staline, fait penser à un autre haut cadre du régime chinois, à savoir Kangsheng, le bourreau de Mao. Il rappelle aussi Chen Quanguo l’homme de Xi Jinping. Tous ces hommes apparaissent dénués de chaleur humaine, et au fond presque indifférents à l’idéologie de leur régime. Ce qui les intéresse, est le pouvoir absolu, la capacité d’infliger des souffrances à leurs victimes sans risque d’être rattrapés par la presse ou la justice. Beria va même personnellement exécuter son prédécesseur avant, bien plus tard, de finir de la même manière. En Chine aussi, durant la sanglante histoire révolutionnaire, vont abonder les règlements de compte entre rivaux dans l’appareil. Par des moyens modernes, ces hommes au service du dictateur réinventent la terreur, et inventent des techniques innovantes de réduction des libertés de déplacement, d’habillement ou de pensée. Ces méthodes destinées à humilier et déstabiliser sont d’abord appliquées à des minorités ethniques ou étrangères, puis étendues ailleurs.  

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En Russie, on commence par les Polonais avant de passer aux Ukrainiens puis aux Russes.  En Chine, sous prétexte de prévention de l’intégrisme et du séparatisme, on frappe d’abord le Tibet, puis le Xinjiang. Chen Quanguo, 67 ans, un militaire monté au sommet à la force du poignet, s’est fait la main sur le Tibet, territoire en lutte contre le centralisme de Pékin et qui venait en 2008 de se révolter en une explosion violente anti chinoise à Lhassa, causant 200 morts. En général, les Tibétains ne pratiquaient pas la violence contre autrui, mais s’immolaient par le feu en résistance passive. De 2011 à 2016, Chen Quanguo patron du Tibet a instauré un poste de police dans chaque monastère. Les caméras espions à reconnaissance faciale ont pris leur essor, ainsi que les GPS inversés sur les voitures, permettant au policier de savoir en tout temps la position du véhicule. Des commissariats de quartier ont été multipliés, ainsi que des policiers logés de force dans les familles, et les mariages mixtes, han tibétains ont été favorisés pour accélérer la dilution de l’ethnie tibétaine dans la souche Han majoritaire. Partout à travers la Chine, des mini casernes de pompiers ont été multipliées afin d’éteindre dès les premières secondes toute tentative d’autoimmolation. Le résultat a été fulgurant, permettant  en moins d’un an d’éradiquer la vague de suicide politique. 

Auréolé de ce premier succès, Chen a été promu au Xinjiang, où il a fait installer en peu d’années ces immenses centres de formation destinés au lavage de cerveaux de plus d’un million de ouighours. En même temps, une campagne d’envergure de stérilisation des jeunes femmes Ouighoures a été lancée, ainsi qu’une vague d’installation forcée d’agents chinois dans les familles. On s’attaque à la fois à l’esprit de résistance de ces citoyens d’ethnie minoritaire, et à leur fécondité. A ce rythme, il ne faudra pas plus de 20 ans pour fondre la turbulente ethnie musulmane dans la masse chinoise et la mettre ainsi hors d’Etat de nuire. 

Bien sûr, entre le système stalinien soviétique et le post stalinien de Xi Jinping, on voit des différences. les victimes de la Tcheka, outre les 22000 officiers polonais de Katyn, se sont montées au nombre de trois quart de million, tandis qu’en Chine, les morts sont sans doute beaucoup moins – on s’attaque aux cerveaux plutôt qu’aux corps et aux vies biologiques. De même dans les règlements de compte, plutôt que de tuer ses rivaux malchanceux, on les embastille en prisons de luxe. Pour ces membres déchu de l’aristocratie rouge, c’est une forme d’assurance vie, car au-delà de leurs rivalités,  tous sont issus du même milieu doré, coupé des masses, de ces familles des descendants de la longue marche. 

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L’autre sentiment qui me vient en regardant le documentaire, est la réaction de l’étranger face au crime de Katyn, qui est très similaire à celle de nos gouvernements face aux détentions massives du Xinjiang. Dans les deux cas, les leaders occidentaux confrontés à la nouvelle du drame, restent atones, presque indifférents. à l’annonce du massacre de Katyn, Churchill et Roosevelt commencent par refuser d’y croire. Au début, leur doute peut apparaître de bonne foi, car on manque de preuve, et car Staline est en train de démentir tout en bloc, prétendant d’abord que les officiers polonais ont été libérés, puis qu’ils ont été assassinés par Hitler qui vient d’occuper l’Ukraine où se trouve Katyn.  Mais bientôt la Wehrmacht qui occupe toujours l’Ukraine, fait rouvrir le charnier de Katyn, exhumer des centaines de victimes, et démontre devant des observateurs internationaux que ce sont les russes qui les ont tués. Ce qui n’empêche Churchill de ne rien vouloir savoir – il recommande même à Roosevelt de faire de même. C’est qu’entretemps, anglais et américains se sont ligués avec Moscou pour écraser Hitler et dès lors, ils font tout ce qu’ils peuvent pour écarter toute trace du génocide, histoire de ne pas embarrasser leur allié Staline. C’est même Churchill qui va trouver la merveilleuse solution pour faire plaisir à son ami :  après la guerre, on va reconstituer la Pologne à partir du seul morceau de territoire annexé par l’Allemagne, et d’un morceau de Silésie confisqué à l’Est du Reich. Comme çà, l'URSS va pouvoir garder son morceau de territoire volé aux polonais. Ainsi, pour Staline, à tous les coups l’on gagne ! 

Par la suite, pendant 45 ans, a Russie soviétique continuera à nier la réalité du massacre de Katyn, que seul Gorbatchev finira par avouer du bout des lèvres fin des années ‘80. Dans un style tout à fait identique, la Chine aujourd’hui continue à nier avec la même énergie ses crimes au Tibet et au Xinjiang. Et en face, nos nations européennes gardent un silence assourdissant sur ces crimes pourtant désormais établis et indiscutables sur les ethnies Tibétaine et Ouighoure. Seuls les Etats Unis dénoncent, à mi-voix seulement. Cette timidité d’hier et d’aujourd’hui, des démocrates face aux crimes de masse des communistes, se fait au nom d’une raison qui est restée la même : avec ces blocs totalitaires, nous sommes en compte, et nous avons avec eux des échanges fructueux. Ils achètent notre silence, et nous nous laissons faire. Nous devenons donc complices, ce qui est pour moi indigne et inquiétant pour l’avenir. Tout bien réfléchi, face au reste du monde, notre seule différence à nous l’Occident, réside dans notre capacité à distinguer le bien du mal, et à le dire haut et fort quoi qu’il en coûte. Si nous renonçons cette faculté, c’est au risque de perdre tout le reste, faute de trouver le courage de le défendre. Je trouve une mince consolation à cet état des choses, en entendant Soljenitsyne prononcer sa fameuse phrase dans son roman le pavillon des cancéreux, « ce n’est pas nous qui avons fait naître l’iniquité sur Terre, ce n’est pas nous qui y mettrons fin ». 

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permettez moi, chère auditrice et cher auditeur d’aborder maintenant la Chine sous un autre angle, celui des big data et de la statistique, à travers Thomas Piketty, le théoricien mondialiste de l’économie planétaire. Sortie au Seuil en août dernier, il a écrit un petit livre mémorable, une « brève histoire de l’égalité » qui explique les progrès de l’humanité moins par la machine à vapeur ou l’ordinateur, que par les luttes sociales qui ont forcé le pouvoir à redistribuer les richesses et à renforcer les bonnes choses de la vie en évitant de les réserver à une petite minorité de possédants privilégiés. Ne nous y trompons pas, notre auteur est d’obédience marxiste et sa grammaire de base est celle de la lutte des classes. Mais en démocrate ouvert, il refuse tout totalitarisme, même celui de la dictature du prolétariat. Vers la fin du livre, Piketty aborde le thème de l’Empire du Ciel sous les rênes de Xi Jinping, qu’il présente sous un visage double et ambigu, à la fois admiratif, et opposant de ce système totalitaire. La société chinoise, dit il, vit sous un «  modèle étatique et autoritaire, en tout point opposé au socialisme démocratique et décentralisé » que lui-même préconise, et « moins émancipateur », c’est le moins que l’on puisse dire. 

Piketty, très vite, évoque une menace chinoise au système de l’Ouest : « voilà une menace, dit il, que les puissances occidentales seraient bien inspirées de prendre au sérieux, et de remettre en cause leur « hypercapitalisme hors d’âge », faute de quoi Piketty, je cite, n’est « pas sûr du tout qu’il puisse en venir à bout ». 

Si la Chine mène la danse et détient d’une main ferme les rênes de l’économie mondiale, c’est d’après lui grâce à deux atouts maîtres, qui ne doivent rien au hasard mais sont l’aboutissement d’une réflexion et d’un choix collectif opéré des dizaines d’années en arrière.  

le premier atout est le maintien sous contrôle par l’Etat d’une part suffisante du capital public, donc des actifs, du système productif. Peu après la mort de Mao en 1978, l’Etat détenait 70% des terres, des usines et des services. Par la suite, les réformes de Deng Xiaoping ont poussé la privatisation générale jusqu’en 2005-2006, suite à quoi la pompe est repartie dans l’autre sens, laissant désormais le public et le privé croitre à peu près au même ratio. Aujourd’hui sous Xi Jinping l’Etat disposerait de 30% des actifs nationaux, avec une minorité de blocage lui permettant de garder le contrôle et d’orienter efficacement la société. Au contraire, en Occident, ce sont les GAFA et les multinationales qui font la loi, empêchant les Etats de réformer leur taxation, leurs impôts et les héritages dans un sens qui blesse leurs intérêts. 

Le second atout maître de la Chine, dit Piketty, est le rôle dominant du PCC dans l’encadrement de la société : c’est lui qui initie tout, sans jamais d’objection, qui oriente et modèle son développement. Piketty affiche son admiration pour ce système, supérieur au « supermarché électoral » qu’est selon lui la démocratie occidentale. Ici, notre penseur cite Global Times, le brûlot anglophone pékinois : « le parti communiste chinois est confiant en son rôle dirigeant, sous la houlette d’une avant-garde motivée et déterminée, sélectionnée et représentative de la société ». Piketty se garde toutefois d’acheter en vrac ce brevet d’autosatisfaction du régime. Avec honnêteté, il pointe du doigt sa tentation totalitaire, et notamment son crédit social basé sur les big data et l’informatique pour asservir le peuple et le décourager de penser. Piketty évoque une « dictature numérique parfaite, tellement parfaite que nul n’a envie de lui ressembler ». En vrac, il épingle l’absence totale de transparence en Chine, la répression des dissidents et minorités, l’asservissement brutal de Hongkong par Pékin dans le reniement de sa propre promesse de 50 ans de large autonomie pour l’enclave ex-britannique. Piketty évoque de même l’enrichissement ultrarapide des grandes familles du sérail socialiste et l’injustice sociale croissante qui dit-il, « ne pourra pas être éternellement apaisée par quelques emprisonnements et mises à l’écart ». Autrement dit cet auteur marxiste admet que le système chinois n’est pas soutenable à long terme, ni la panacée universelle. 
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Mais à ce niveau, je voudrais designer ce qui m’apparaît une ambiguïté dans cette analyse. Piketty sous-entend ici un a priori très fréquent sur la Chine, celui d’une infaillibilité du système, d’une classe dirigeante qui ne se trompe jamais, guidé par une théorie socialiste et une prévision juste des rapports de force. Alternativement, une autre source de la supériorité chinoise serait l’héritage de Confucius, celui d’une sagesse multimillénaire. D’une manière ou d’une autre, l’empire du Milieu serait appelé à devenir la prochaine Amérique, le centre et le maître du monde. Et ses succès depuis 30 ans, ses exploits industriels et son rattrapage technologique ne seraient que la confirmation de cette ascension irrésistible. 

Notons le au passage, ce lieu commun est renforcé par la manie chinoise du secret. Le régime met en effet un soin méticuleux à faire disparaître de ses média toutes ses rivalités et erreurs, ses règlements de comptes et scandales, de manière à lisser l’image fausse mais séduisante d’une chine superstar, omnipotente et sans bavures. C’est faux bien sûr, mais plus c’est gros et plus ca passe !  

Mais pourtant, vous l’avez bien vu dans la première moitié de cet épisode, la Chine fait des erreurs. Il ne se passe pas un jour sans qu’elle n’en fasse, que seul les admirateurs aveugles ne parviennent pas à voir. Elle y est portée par son système, et d’abord par sa tradition de violence et par sa fraternité idéologique avec l’URSS de Staline, en particulier sous l’angle de la répression et des laboratoires de subjugation des peuples. 

Contrairement à ce que tant de gens croient ici à l’Ouest, la classe dirigeante et ses leaders n’ont jamais cessé de faire des erreurs grossières, égales ou pires que celles de nos gouvernements, erreurs dues notamment au sentiment de toute puissance, d’hybris et d’absence du frein qu’auraient exercé une presse et une justice indépendante, pour mettre une limite aux abus de pouvoir. Le régime se trompe en conservant 10 ans de trop son planning familial qui entraine le pays vers une coupe brutale dans la pyramide des âges. Il se trompe en maintenant jusqu’à aujourd’hui l’eau courante à tarif presque gratuit, alors qu’on en est à la pomper dans les nappes phréatiques à plus de 100m de fond. Il se trompe en empêchant les universités de choisir librement leurs profs et leurs programmes, au risque de rester moins performantes qu’ailleurs au monde.  Il se trompe en confiant la direction de la lutte antisida à la police qui la criminalise, et non au système de santé qui la soigne. 

Or toutes ces erreurs du Parti, vont devoir être payées par la nation. Par exemple, terroriser le Xinjiang, c’est s’aliéner le monde arabe et islamique qui ne fera plus de sitôt confiance en la Chine. Briser Hongkong, c’est se priver d’une interface précieuse avec l’Occident, et briser la confiance de l’Occident puisqu’un contrat valable pour 50 ans a été violé avant même la moitié. Laisser croire aux Chinois que le COVID est venu de l’étranger, c’est accroitre entre Chine et monde une méfiance, quand c’est un front uni mondial qu’il faudrait face au fléau. Enfin, refermer le pays comme le régime le fait à présent, c’est dynamiter 30 ans d’efforts des équipes politiques précédentes pour imposer l’image d’une Chine bienveillante, fiable, pacifiste et partenaire. 

Désormais Xi Jinping dirige seul, et chacun se tait. Ses fonctionnaires n’exécutent plus les ordres, pour éviter d’être désavoués demain. La classe bourgeoise privée de voyages à l’étranger, grogne en silence. Les patrons privés d’électricité et incapables d’exporter faute de navires, se plaignent discrètement. Les écoles privées  menacées dans leur existence, tentent de survivre. les églises de toute confession -chrétiennes, bouddhistes ou islamiques- voient les persécutions redémarrer, Xi Jinping s’arrogeant le droit de redéfinir leurs dogmes et leurs livres sacrés. Le résultat est un immense stress sur le pays, un contrôle social et policier intense, et la disparition du débat social, qui devrait formuler la Chine de demain.

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Pourquoi la Chine socialiste parvient à survivre, quand son mentor l’URSS est décédée ? Je vois deux facteurs, deux choses que Pékin a réussi plus à fond et plus parfaitement que Moscou. La première est son sans-faute technique dans la mise en place du crédit social, sa connaissance de chaque individu à travers les big data, et donc la reconnaissance des dissidents potentiels, avant même qu’ils ne se déclarent. Dans ce savoir faire, appartient aussi la rétention de tout type d’information ou d’idée que le régime souhaite occulter. Il en efface toutes les traces, et il fait savoir à quiconque l’interdiction d’aborder le sujet. C’était bien sûr déjà le cas sous Staline, et le principe fondateur de la terreur blanche, mais par exemple, les jeunes de 20 ans aujourd’hui, ne savent rien du printemps de Pékin 1989, ni du massacre qui y a mis fin la fatale nuit du 3 au 4 juin. Fait stupéfiant et incompréhensible à nos yeux d’européens, leurs propres parents qui avaient 20 ans à l’époque et qui marchaient par millions avec moi dans les rues de Pékin pour réclamer la démocratie, n’ont rien dit à leurs enfants, afin d’éviter de leur attirer des ennuis. Ainsi cette génération-même des jeunes de 1989 ont été amenés à trahir leurs idées et à y renoncer, sous pression de leurs aînés totalitaires.

L’autre chance du régime a été sa clairvoyance en matière économique. En privatisant dans les années ’80, Deng Xiaoping a ranimé l’espoir des chinois de s’enrichir et lancé une gigantesque entreprise de prospérité et d’imagination au pouvoir commercial. Puis en renationalisant, ou bien en muselant un à un tous les grands groupes privés qui venaient d’émerger en quelques années, il a pu détourner au profit de l’Etat assez de ressources pour enrichir la police et l’armée, qui sont les premiers gagnants de la prospérité nationale, aux budgets à faire pâlir d’envie militaires et policiers de tous nos pays démocratiques. 

Au fond, la chance du pays tient à son besoin de rattrapage, face à une planète qui pour affronter ses problèmes contemporains, a besoin d’égalisation du développement de ses continents. En 1800, la Chine impériale assurait 30% de la production humaine mondiale. A la mort de Mao en ’76 après 10 ans d’anarchie de la révolution culturelle, elle n’en assurait plus que 1%. Aujourd’hui après 30 ans de rattrapage, elle est remontée à 17 à 18% du produit mondial brut. Mais comme sa population représente 22% de celle du monde, elle accuse encore 5 à 6% de retard, atteindre le niveau de richesse moyenne mondiale par habitant. Cependant cette fin de rattrapage va être autrement plus difficile que les débuts. Comme on dit en Chine, sur le cerisier de la croissance, la récolte des basses branches est terminée, maintenant, il va falloir aller chercher les fruits tout en hauteur, chose plus dangereuse et difficile, sur des échelles et des échafaudages. Or contrairement à 30 ou 40 ans en arrière où la Chine pouvait bénéficier de la bienveillance du monde, à présent, elle est seule, et ne va devoir compter que sur elle-même. 

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C’est pourquoi j’espère de tout cœur un retournement de politique en Chine, afin de voir se réparer et guérir la relation du régime avec sa société, et avec nos pays, que les portes de Chine se rouvrent pour le bien de son peuple comme pour le nôtre, et que l’échange normal entre l’empire du milieu et le monde se rétablisse. C’est la seule voie d’avenir possible entre eux et nous, la seule chance de paix, en combinant nos moyens et nos talents différents pour combattre les maux qui nous assaillent aujourd’hui, tels le réchauffement global et le covid. 

L’an dernier exactement à même époque, je vous proposais un épisode sur Noel en Chine, sujet éminemment plus joyeux et porteur d’espoir. Aujourd’hui, mon thème était plus sobre ou plus sombre. Mais c’est un signe des temps. Ce n’est pas moi qui ai changé, mais la Chine. Et sur ce, les amis, je vous quitte jusqu’au prochain épisode, non sans vous réitérer à tous, de Chine comme d’Europe et du monde, mes très amicaux vœux de bonheur et de prospérité pour cette année 2022 !