Ce lundi on a voulu savoir si l’anarchisme était pensable. Nous on ne s’était pas posé la question. On ne savait pas que, peut-être, il ne l’était pas. Grâce à Catherine Malabou et son livre Au voleur ! Anarchisme et Philosophie on a eu une réponse.
En fait, on a appris que l’anarchisme n’était pas tout à fait pensable dans les conditions posées par les six principaux philosophes « mâles et blancs » en charge de le faire : Schürmann, Lévinas, Derrida, Foucault, Agamben, Rancière. Pourquoi ? Parce que nos six philosophes, en réfléchissant sur l’anarchie, ont dérobé quelque chose à l’anarchisme. En voulant conceptualiser l’Anarchie et penser théoriquement la possibilité de l’anarchisme, ils n’ont réussi qu’à jeter le bébé et garder l’eau du bain, c’est-à-dire à dénier l’éventualité réelle des formes de vie que ce mot recouvre tout en gardant faisant triompher le concept.
Malabou nous a appris combien la pensée philosophique était imprégnée d’un préjugé : le « préjugé gouvernementaliste » - la croyance qu’au fond sans gouvernement, c’est le chaos. Elle nous a expliqué alors comment ce préjugé se rattache au « paradigme archique » ; paradigme selon lequel on ne peut penser rationnellement ni vivre en commun sans Archè – c’est-à-dire sans principe qui à la fois commence et commande, et façonne l’ordre à partir du chaos. Une fois élucidé ce paradigme et ce préjugé, on a ensuite découvert que le concept d’ingouvernable n’était jamais que l’envers du gouvernement et même son objet propre. Gouverner étant, justement, gérer de l’ingouvernable. Malabou nous a fait comprendre que l’anarchisme, aujourd’hui, n’est pas une position depuis laquelle critiquer ou attaquer la domination, mais le champ de bataille lui-même. En effet, ce qui marquerait l’époque, ce ne serait pas la crise de la verticalité de l’État, mais la « crise de l’horizontalité ». Non pas une crise de l’horizontalité confrontée à la verticalité autoritaire de l’État, mais bien une crise interne à l’horizontalité elle-même : le capitalisme serait lui-même en train de s’aplatir – de se prétendre et revendiquer « anarchiste ». À partir de là, Malabou nous a offert des distinctions pour nous repérer dans cette crise. D’abord en distinguant anarchisme de fait (qui rassemble tout ce qui prétend à un fonctionnement horizontal – les ZAD comme les Libertariens) et anarchisme d’éveil (un anarchisme vraiment émancipateur). Ensuite, en fondant l’anarchisme d’éveil sur un concept plus adéquat que celui d’ingouvernable : le concept du « non-gouvernable », qu’elle définit comme ce qui ne peut qu’être écrasé ou dressé mais jamais gouverné. Sa proposition consistant à éveiller l’anarchisme, à la dimension du « non-gouvernable ». Ce que Barbara Glowczewski appelle aussi de ses vœux, à sa manière, lorsqu’elle invite à « éveiller les esprits de la terre ».
Pour finir on peut résumer brièvement ce que Malabou définit comme les trois figures qui servent de conditions sine qua non à une théorie de l’anarchisme sans déni et attentive au « non-gouvernable » ; les figures du Témoin, du Colonisé, de l’Esclave :