
Les échos du Loriot
Le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !
Ce podcast présente des traductions françaises d'interviews réalisées avec des journalistes, scientifiques et naturalistes qui parlent anglais ou japonais.
Découvrez ou redécouvrez des animaux, des plantes, et des problématiques de l'écologie, à travers de nouveaux points de vue !
Les échos du Loriot
03 - Le castor, meilleur ami du saumon (3/3) avec Ben Goldfarb
Dans cette troisième partie de notre interview, Ben Goldfarb, un journaliste américain qui a écrit un livre sur la vie secrète du castor, nous explique comment éviter les conflits entre ce rongeur et les activités humaines. Il aborde également la relation entre les barrages de castors et les poissons migrateurs, qui coexistent depuis des millions d'années.
Crédits :
- Musique "Sunday Coffee" de Rebecca Mardal.
- Illustrations par Rohith W.
- Avec la voix de Robin Grimaldi.
Les Échos du Loriot, le podcast qui donne la parole aux passionnés de nature de tous horizons !
Épisode 03
Geoffrey
Bonjour à toutes et à tous ! On se retrouve pour le troisième et dernier épisode de notre série portant sur le castor. On a appris beaucoup de choses grâce à Ben Goldfarb, le journaliste américain auteur du livre “Eager:
Pour rappel, cette interview a été traduite de l’anglais par mes soins, et le doublage français de Ben Goldfarb est assuré par Robin Grimaldi. Je vous propose d’aller retrouver Ben sans plus attendre !
Transition
Geoffrey
– Bonjour Ben !
Ben
– Bonjour Geoffrey !
Geoffrey
– Ravi de vous retrouver dans le Colorado, à Cottonwood Creek, devant cet étang à castors que vous affectionnez tant.
Ben
– C’est un cadre idéal pour parler de castors !
Geoffrey
– Jusqu’ici, on a beaucoup chanté les louanges des castors, mais je vous propose de commencer cet épisode par un sujet un peu plus épineux. Il y a un aspect évident de la relation entre les humains et les castors qu’on n’a pas encore mentionné. Vous soulignez bien dans votre livre que les castors peuvent être vus comme une nuisance par certaines personnes, notamment les agriculteurs. Dans ce cas, comment faire pour limiter les dégâts de ces rongeurs ?
Ben
– C’est vrai. Vous savez, j’adore les castors, mais j’admets que la cohabitation est parfois difficile et qu’ils peuvent causer toutes sortes de problèmes. Ils construisent des barrages dans des canaux d’irrigation, ils inondent des routes et des champs cultivés, ils peuvent abattre des arbres fruitiers… Et en général, en tout cas aux États-Unis, on traite ce problème en tuant les castors incriminés. On en tue chaque année des dizaines de milliers, peut-être même des centaines de milliers, on ne sait pas vraiment.
Mais cette méthode pose deux problèmes : premièrement, quand on tue un castor, on supprime évidemment tout cet environnement bénéfique qu’il crée, on perd ces services écosystémiques qu’on a évoqués. Et par ailleurs, on ne résout même pas le problème, parce qu’il y aura toujours un castor en recherche de territoire qui viendra s’installer dans ce territoire vacant. Donc on entre dans un cycle sans fin de piégeage, recolonisation, piégeage, etc… Donc en plus d’être une mauvaise méthode de gestion, c’est totalement inefficace. Alors maintenant, de plus en plus d’états s’intéressent à des méthodes plus durables, non létales, pour réduire les dégâts des castors. S’ils coupent des arbres à un endroit précis, il vaut mieux placer des barrières et grillages autour. S’ils inondent une zone qu’on veut garder au sec, on peut mettre en place un système de tuyaux qui traversent le barrage et qui réduisent le niveau d’eau pour qu’il s’arrête avant la route ou les cultures. On a plein de solutions plus malignes et moins cruelles pour protéger les castors, économiser de l’argent, et préserver ces zones humides essentielles.
Geoffrey
– C’est vrai que vous parlez dans votre livre d’ateliers et de réunions dédiés à la fabrication de ces petits appareils à base de tuyaux pour tromper les castors et baisser le niveau d’eau de leur barrage. Je crois que certaines personnes ne sont pas convaincues par leur efficacité, qu’est-ce que vous en pensez ?
Ben
– Leur efficacité a été prouvée dans beaucoup de cas ! Il y a eu plusieurs études sur le sujet. L’une d’elles a montré que ces appareils marchent dans environ 85 à 95% des cas. Une autre étude a montré que pour chaque dollar dépensé pour ces installations, on économise plus de 8 dollars qui auraient été dépensés pour le piégeage et l’entretien des routes. Il y a une super association qui s’appelle le “Beaver Institute” qui a de nombreuses ressources sur son site pour expliquer comment construire ces appareils et pourquoi ils sont efficaces. C’est une mine d’informations pour toute personne faisant face à un problème de castors.
Geoffrey
– Excellent conseil ! Et pour rester sur les problèmes potentiels posés par les castors, vous expliquez dans votre livre que les pêcheurs ont longtemps eu une image négative de ces animaux, car ils pensaient que leurs barrages constituaient un obstacle pour la migration de nombreux poissons. Mais on dirait que l’opinion est en train de changer, vous pouvez nous en dire plus ?
Ben
– Tout à fait. Vous voyez, les castors et les poissons coexistent dans le même habitat depuis plusieurs millions d’années, alors il y a forcément des adaptations qui ont évolué. En France, vous avez le saumon de l’Atlantique, dont le nom latin est Salmo salar, et salar veut dire “le sauteur”, donc ça en dit long sur ses capacités à franchir les obstacles. Mon sticker préféré pour la protection des castors porte le slogan : “Les castors ont appris aux saumons à sauter” ! (rire)
C’est vrai après tout, pourquoi les saumons ont développé de telles capacités de saut ? Peut-être pour franchir les barrages…
Geoffrey
– C’est vrai qu’on pourrait voir ça comme une pression évolutive !
Ben
– Mais oui, exactement ! Mais il faut noter aussi que sauter par-dessus les barrages n’est pas le seul moyen de les traverser. Les poissons ont toutes sortes de méthodes pour les contourner. Par exemple, j’ai déjà vu des poissons se faufiler à travers des interstices entre les rondins de bois. Il y a aussi le fait que les poissons migrent souvent pendant des périodes où le niveau d’eau est élevé, donc l’eau passe parfois au-dessus du barrage, ou peut créer un autre passage dans la plaine pour le contourner. Donc vraiment, les poissons n’ont pas de gros problèmes à franchir ces barrages. En fait, il y a des tas d’études scientifiques qui montrent que les barrages de castors sont bénéfiques aux poissons. Les étangs à castors sont des endroits parfaits pour les alevins de saumons, de truites… Pour ces petits poissons vulnérables, il vaut mieux éviter de vivre dans une zone à fort courant, donc ils sont en sécurité dans ce genre d’endroit où ils peuvent économiser leur énergie, trouver plein d’insectes, et se cacher dans des interstices. Donc les castors créent des refuges pour les poissons et sont tout sauf une nuisance pour eux.
Geoffrey
– C’est assez incroyable, la liste de services rendus par les castors ne fait que s’allonger. Et ça explique pourquoi de plus en plus de gens se mettent à les défendre. Dans votre livre, vous parlez de vos rencontres avec toutes sortes de “beaver believers”, les “croyants du castor” qui protègent cet animal et vantent ses mérites. On en trouve vraiment dans toutes sortes de professions, on dirait. Est-ce que vous pourriez nous parler de l’une de ces rencontres qui vous a particulièrement inspiré ?
Ben
– C’est vrai, il y a tellement de croyants du castor qui ont de belles histoires à raconter ! Il y en a un qui me vient souvent à l’esprit et dont j’aime bien parler, il s’appelle Jay Wilde, c’est un éleveur bovin dans l’état de l’Idaho. En fait, il a grandi à côté d’un cours d’eau qui subvenait aux besoins de sa famille et assurait sa prospérité. Mais au fil du temps, cette rivière s’est asséchée, elle disparaissait presque complètement en été. Il a fini par comprendre que la cause du problème était la disparition des castors qui étaient autrefois abondants. Ils avaient été tués, victimes de trappeurs ou de prédateurs, il ne savait pas trop… Mais il savait qu’ils avaient disparu et que ce cours d’eau essentiel s’asséchait. Alors il s’est mis en tête de faire revenir les rongeurs. Il a travaillé avec des chercheurs pour construire des barrages artificiels comme ceux qu’on a évoqués la dernière fois, pour stimuler l’installation des castors. Ils ont aussi réintroduit plusieurs individus dans la rivière, et ils ont utilisé ces structures artificielles comme bases pour leurs barrages. Et aujourd’hui, il y a plus de 200 barrages de castors sur ce cours d’eau ! Ils ont également mesuré que les populations de poissons avaient été multipliées par 10, il y a bien plus de truites et elles sont plus grosses… Et le plus important pour Jay : la rivière qui s’asséchait conserve maintenant de l’eau toute l’année. Et ça me permet de souligner une idée fausse qu’ont certaines personnes qui pensent que les castors “piègent” l’eau et nous privent de cette ressource. Mais les barrages de castor sont perméables ! L’eau passe à travers, elle passe autour, elle est absorbée dans les souterrains et ressort en aval. Donc vraiment, les castors ne s’accaparent pas cette eau, ils la ralentissent, ce qui permet à la rivière de garder un certain niveau d’eau même durant les mois secs, en juillet et août. Aujourd’hui, Jay peut profiter de l’eau toute l’année sur son exploitation, ce qui est essentiel pour son activité
J’adore cette histoire, parce qu’on pense parfois que les défenseurs du castor sont juste des scientifiques ou des écolos déconnectés de la réalité. Mais en fait il y a des agriculteurs et toutes sortes de professions qui utilisent la terre et pour qui ces animaux sont aussi importants.
Geoffrey
– C’est vraiment une histoire inspirante, oui. Je trouve ça génial de démontrer que la protection de l’environnement peut être guidée par des motivations pratiques, et Jay Wilde nous le montre parfaitement.
Ben
– Absolument !
Geoffrey
– Pour conclure, vous avez publié votre livre en 2018, et depuis, j’aimerais vous demander si vous avez vu des changements dans les mentalités ou dans la manière dont le castor est perçu aux États-Unis.
Ben
– Tout à fait, de gros changements, même ! Je ne voudrais pas m’en attribuer le mérite, il y a eu toutes sortes de militants, de naturalistes et de scientifiques qui ont agi pour la protection du castor. On a une fantastique communauté de “croyants du castor” qui en a fait beaucoup pour changer l’image de cet animal, et je suis honoré d’être un rouage de cette machine. Pour donner un exemple de changement récent, on peut parler de la Californie, c’est un état au climat très chaud et sec qui a des problèmes récurrents de sécheresses et d’incendies, donc c’est un endroit qui a vraiment besoin de castors. Mais historiquement, c’était un état assez hostile aux castors. Officiellement, le gouvernement californien considérait même que le castor n’était pas natif de la région et était une espèce introduite, ce qui était totalement faux.
Geoffrey
– Ah oui, carrément…
Ben
– Oui, et il y avait des pratiques de piégeage assez radicales, on peut dire que les castors étaient abattus à vue. Et finalement, ces dernières années, la Californie a fait beaucoup de progrès. Elle a même lancé un programme de restauration du castor à l’échelle de l’état, avec des employés à plein temps dédiés à cette problématique, ils ont fait des réintroductions dans des endroits que les castors occupaient autrefois. Ils ont aussi installé toutes sortes de barrages artificiels comme ceux dont on a parlé plus tôt. Donc on voit que la Californie est passée d’un état totalement anti-castor à l’un des états qui fait le plus pour leur restauration, et tout ça s’est passé en quelques années, donc c’est un exemple frappant de changement dans les mentalités.
Geoffrey
– Je pense qu’on pourrait s’inspirer de tous ces exemples en France. On ne considère pas souvent le castor comme une solution à tous ces problèmes de sécheresses, inondations, incendies, etc. En fait, je crois que c’est parce qu’on ne pense pas souvent à cet animal, on considère qu’il est rare. Même si leur nombre est en augmentation. Par exemple, j’ai questionné mon entourage et beaucoup de gens n’ont jamais vu de castors de leur vie, ni de barrages de castors.
Ben
– Alors il faut chausser ses bottes et sortir à leur recherche ! Mais quand on ne trouve rien sur le terrain, une chose que j’adore faire, c’est me balader sur Google Earth et chercher les étangs et barrages de castors sur les photos satellites.
Geoffrey
– Ah oui ! Il fallait y penser !
Ben
– Je recommande cette méthode pour toute personne qui voudrait chercher des castors dans sa région ! On peut trouver de bonnes idées.
Geoffrey
– C’est vrai qu’on a tous ces outils aujourd’hui, et on peut aussi les utiliser pour explorer la nature !
Ben
– Oui !
Geoffrey
– En tout cas merci Ben pour toutes ces informations et témoignages que vous nous avez partagés sur le castor, je pense qu’on a une vision plus claire du rôle central de cet animal en tant qu’ingénieur des écosystèmes. Et pour terminer, est-ce que vous pourriez dire un mot sur vos projets actuels et futurs ?
Ben
– Avec plaisir ! Pour commencer, je profite de ce podcast pour annoncer que mon livre sur les castors est actuellement en train d’être traduit en français et sera prochainement disponible pour le public francophone.
Geoffrey
– C’est super, ça ! Tout le monde va pouvoir approfondir les sujets qu’on a évoqués dans ces trois épisodes.
Ben
– Sinon, comme on l’a mentionné dans le premier épisode, j’ai sorti un autre livre en 2023 qui s’apelle Crossings et qui traite de l’impact des routes sur les écosystèmes. Celui-ci est pour l’instant uniquement en anglais, mais il y a une connexion intéressante avec la France, parce que les premiers passages à faune au monde ont été construits en France…
Geoffrey
– Ah oui ? Je ne savais pas !
Ben
– Oui, c’était dans les années 50 et c’était pour permettre aux cerfs et aux chevreuils de traverser. Et il me semble que c’était parce que les chasseurs voulaient les protéger. Donc oui, la France a toute une histoire de conciliation entre les routes et les écosystèmes.
Geoffrey
– Ça me semble être un super sujet pour une prochaine série, si vous acceptez de revenir dans ce podcast une prochaine fois !
Ben
– Ce sera avec plaisir !
Et pour finir sur mes projets, je suis en train d’écrire un livre au sujet des poissons, sur leurs mouvements et leurs migrations, et pourquoi ils ont un rôle majeur dans les écosystèmes. Je parle aussi des perturbations qui impactent leurs migrations, comme les barrages et autres structures, et des méthodes pour réduire ces impacts, et encore une fois, la France a beaucoup travaillé dans ce sens, pour favoriser la migration des saumons, des anguilles, etc…
Geoffrey
– Là aussi, ça ferait un excellent sujet ! J’espère vraiment qu’on aura l’occasion de se revoir !
Ben
– Faites-moi signe et ce sera un plaisir !
Geoffrey
– Merci beaucoup Ben de nous avoir accompagnés pendant ces trois épisodes, et j’espère qu’on pourra vous retrouver bientôt !
Ben
– Merci pour l’invitation, j’adore ce concept de podcast traduit d’une autre langue, c’était un plaisir !
Transition
Geoffrey
– Chers auditeurices, merci d’avoir suivi ces trois épisodes sur le castor, j’espère que vous avez appris des choses et que vous avez envie de les observer sur le terrain ! Comme d’habitude, si vous avez des questions, n’hésitez pas à les poser en commentaires et je les transmettrai à Ben. Pour finir, je vous propose d’écouter un message enregistré en anglais par Ben, pendant notre interview originale, et il conclut notre série en s’adressant directement à vous.
Message en anglais :
Hi, I’m Ben Goldfarb! I wanted to say Geoffrey thank you so much for having me on the podcast, and I hope all of the listeners out there in France… go look for your local beavers! Because France has tens of thousands of beavers, they’re out there. And it sounds like not a lot of people know about them or know where to find them, but they’re there, in your rivers. So go enjoy these amazing animals!
Geoffrey
– Pour résumer, Ben a été ravi de participer à ce podcast et nous incite tous à sortir chercher les castors de nos régions, il y en a plus de 20 000 aux quatre coins de la France, donc ça promet de belles observations !
Voilà qui conclut cet épisode des Échos du Loriot, merci à vous de nous avoir suivis ! On se retrouve dans le prochain épisode pour un nouveau sujet et une nouvelle interview ! N’hésitez pas à proposer des suggestions en commentaire si vous souhaitez voir certains thèmes abordés, ou si vous voulez proposer des intervenants anglophones ou japonophones pour de futures interviews. D’ici là portez-vous bien, et restez à l’écoute de la nature !